Tilicho (7134 m.)

1998

Voyage aux Annapurnas

Tilicho Peak (7134)

Annapurnas au pluriel, car le sommet conquis en 1950 par Maurice Herzog et Louis Lachenal est le point culminant d'une chaîne très étendue (sur 50 km d'est en ouest, l'altitude descend rarement en-dessous de 7000 mètres). Un demi-siècle après, nous avons suivi les traces d'Herzog et de ses compagnons, toujours grâce à Terres d'Aventure; l'objectif, bien plus modeste, était le pic de Tilicho, pilier d'angle qui s'élève à 7134 mètres au nord-ouest de la chaîne. Les conditions ont bien changé depuis lors; en cinquante ans nous sommes passés de l'exploration au tourisme de masse... Le pic de Tilicho est heureusement à l'écart de l'autoroute du tour des Annapurnas, un trek que je vous recommande néanmoins, malgré sa fréquentation. Quelques chiffres donnent une idée de son isolement: première ascension en 1978, par une équipe française (un homme au sommet, mais on ne sait pas lequel! Une modestie bien passée de mode en Himalaya), six personnes au sommet depuis, pas de succès depuis quatre ans. Rien à voir avec les embouteillages de l'Ama Dablam ou de l'Everest.

Il avait fallu trois semaines à Herzog pour gagner le pied des montagnes; maintenant l'avion nous dépose en une demi-heure à Jomosom (2700 m.), aux portes du Mustang, entre Dhaulagiri (8167 m.) et Annapurna (8091 m.). Nous quittons bien vite cette cité battue par les vents et aussi authentique que Chamonix au mois d'août, pour nous établir à Marpha, village tibétain aux rues pavées, aux murs blancs et connu pour... ses pommes! A l'abri (relatif) du vent, les vergers prospèrent, et les pommes sont à tous les menus, sous toutes les formes: crumble, apple pie, strudel, beignets, jus frais et un alcool, disons, très... local.

face nord du Dhaulagiri (8167)

L'expédition commence paisiblement par une période d'acclimatation, en direction des pentes nord du Dhaulagiri. Nous remontons, exactement comme Herzog, la vallée de Damphus, le long de la face nord du pic de Tukuche, avec en ligne de mire un col à 5100 mètres (Damphus pass), en face des Nilgiri, les Montagnes Bleues. De là nous découvrons la “vallée cachée”, clé de l'accès au Dhaulagiri. La montagne est invisible d'ici; il faut encore faire plusieurs kilomètres pour atteindre le «col des Français», d'où la vue est paraît-il saisissante sur la face Nord du «Dhaula». Le but n'est pas de nous épuiser ici, aussi préférons-nous renoncer, non sans une pensée pour Chantal Mauduit, disparue au printemps sur cet itinéraire. Pour ceux que ça intéresse, le Dhaulagiri est au programme de Terres d'Aventures à l'automne 2000.

Acclimatés, douchés, rasés, repus de pommes, nous pouvons enfin partir pour notre camp de base, au bord du lac de Tilicho. Nous espérons que nos mules nous suivront sur cet itinéraire peu connu des autochtones...

Herzog: «Au crépuscule, nous pénétrons dans le village misérable de Tinigaon. Les indigènes très primitifs y sont d'une saleté repoussante. Ils nous dévisagent avec méfiance. Une troupe hurlante, déguenillée, digne d'une Cour des Miracles, nous conduit à la seule maison convenable de Tinigaon.»

Bon, n'exagérons rien, il est vrai que Tinigaon est à l'écart de l'autoroute des trekkers, et cela se voit, mais nous sommes bien accueillis et on nous indique le bon chemin pour le col de Tilicho, c'est-à-dire celui qui évite la base militaire de Kaisang. Nous avons toutes les autorisations nécessaires, mais il vaut mieux éviter les hommes en kaki aussi près de la frontière tibétaine. Nous retrouvons nos mules par miracle dans les alpages, et établissons un camp provisoire. Le lendemain, nous arrivons au col de Tilicho (plus exactement, de Mesokanto), à 5200 mètres.

Herzog: «Ebahis, nous avons devant les yeux un décor éblouissant de neige et de glace. De multiples sommets étincellent dans un ciel très pur. Paysage hivernal auquel une luminosité extrême donne une ambiance véritablement féerique. Sur la droite, au lieu de l'Annapurna se dresse une gigantesque barrière où les sommets de plus de 7000 se succèdent à de courts intervalles. En face de nous s'ouvre, non pas une vallée profonde, mais un vaste plateau lacustre. Au centre s'étale un grand lac glacé, recouvert de neige, dont nous distinguons mal les dimensions. Sur la gauche, des falaises tombent à pic sur l'immense étendue blanche du lac.»

Gangapurna (7454)

Comme nous sommes en automne, le lac n'est pas gelé mais souligne d'une irisation turquoise les falaises ocre du Mutkinath Himal et les glaciers de la «Grande Barrière», dominé par l'imposante pyramide du Ganga Purna (7454 m.). A notre droite, le Tilicho nous révèle sa fac nord, coupée à mi-hauteur par une vaste banquette neigeuse où se précipitent continuellement les avalanches. L'itinéraire suit le seul éperon sûr de la face, rejoint l'éxtrémité ouest de la banquette, où nous établirons le camp 1, puis un replat sur l'arête nord, emplacement prévu pour le camp 2. Pour l'heure il nous faut trouver le camp de base, où une équipe de sherpas nous attend, dans le dédale de la moraine; après quelques errements nous le découvrons dans une combe avec vue imprenable sur le lac. Les mules ont un jour de retard, aussi la première nuit au camp sera spartiate. Par la suite nous nous installerons avec tout le confort exigé par un séjour d'un mois: tente mess avec table, chaises, lectures et victuailles, tentes individuelles et doubles matelas. Pour la toilette, il y a le lac (8 °C)...

L'expédition commence comme toujours par une puja, cérémonie destinée à nous concilier les bonne grâces de la montagne. Face à un autel de pierre où brûle du genévrier, un sherpa faisant office de lama récite des prières, bénit nos piolets et la nourriture offerte aux dieux (barres chocolatées, thé et rhum...). Des drapeaux à prières sont tendus dans trois directions; ils réciteront les mantras au gré du vent durant tout notre séjour. Dès le lendemain un première équipe monte équiper l'éperon en cordes fixes et installer le camp1; quant à moi, je pars m'acclimater sur les pentes du Mutkinath Himal, dans l'espoir d'apercevoir l'Annapurna.

Herzog: «Ichac, à plat ventre dans la tente, reporte, avec autant de précision que les circonstances et le matériel le lui permettent, les alignements sur la carte. “ça y est!... Je comprends tout!” Il a maintenant la preuve que la chaîne qui s'étend au sud du camp et que nous avons appelée la Grande Barrière est bien l'Annapurna Himal. C'est de ce fameux Sommet triangulaire, le Roc noir dont nous soupçonnions l'importance orographique, que part la ramification portant l'Annapurna! L'Annapurna ne peut être que de l'autre côté de la Grande Barrière par rapport au camp!»

face nord de l'Annapurna (8091)

C'est exactement ça! C'est facile, maintenant que l'on sait et que nous avons des cartes! Vers 5800 mètres, j'atteins une crête d'où je découvre à la fois au nord l'immense plateau tibétain et la vallée aride du Mustang, et au sud, par delà la Grande Barrière, la dépassant de mille mètres, l'impressionnante face nord de l'Annapurna, avec son glacier caractéristique en forme de faucille. Je me dis que la vue doit être saisissante depuis le sommet du Tilicho. Je redescends rapidement au camp; le ciel se charge de «poissons» qui n'annoncent rien de bon. De fait, nous nous réveillons en plein brouillard, une neige fine tombe avec insistance sur la moraine; elle ne cessera qu'au bout de cinq jours. Il était temps! Nous n'avons plus droit qu'à une seule tentative. Armé d'une pelle, bien plus utile que le piolet, le guide nous ouvre une véritable tranchée dans 70 cm de poudreuse le long de l'éperon. Finalement nous parvenons à dégager les cordes fixes de leur gangue de neige et atteignons le camp 1 à la tombée de la nuit.

La première vague d'assaut — Paulo, Olivier, Michel et Greg — part équiper le camp2, un superbe belvédère à 6300 mètres. Le parcours est mixte, un peu moins raide que la première partie; en fait la principale difficulté est d'extraire les anciennes cordes (jusqu'à sept au même endroit!) pour placer les nôtres. Le lendemain, partis sans a priori pour «reconnaître» la suite de l'itinéraire, nos camarades décident de continuer et atteignent le sommet à quatre heures de l'après-midi, augmentant sensiblement le nombre de «summiters» (et les statistiques de Mrs Hawley)! La descente sera homérique, à la frontale sur des pentes à 40° en neige dure, avec deux mille mètres de vide à leurs pieds. Rentré à bon port vers 22 heures, Paulo n'aura aucune envie de retenter l'expérience et nous le fera savoir le lendemain, à notre arrivée au camp 2. En fait les cinq jours de mauvais temps nous ont empêché d'équiper correctement le haut de la voie, imposant cet assaut «banzaï». Nous comprenons — avec difficulté pour certains — ces raisons: le meilleur himalayiste est celui qui redescend... sain et sauf. Il nous faut maintenant rejoindre civilisation (en trente jours nous avons vu quatre personnes); le camp de base est rapidement plié, puis re-mules, re-col et 2800 mètres de descente, qui se terminent de nuit, au jugé dans les cultures de Jomosom.



La Montagne et Alpinisme : numéros en double à vendre