Baruntse (7168 m.)

1996

1954: «Lowe, Todd, Harrow et Beaven réussissaient l'ascension du Baruntse Peak (Peak 39; 7220 m. Schneider1). Ils s'élevèrent par un tributaire raide et crevassé au Plateau de Barun et campèrent près du col qui donne sur le glacier de Hongu et d'où l'on jouit d'un panorama grandiose. Le 29 mai, avec 5 Sherpas, il poussèrent leur camp à 6700 m. sur une selle, au pied de l'arête sud du sommet, et renvoyèrent 3 sherpas. Partant à 6 h. ½ le lendemain, malgré un vent violent, ils peinèrent dans la neige poudreuse puis au long d'une interminable arête dont une corniche s'effondra brusquement. Lowe et Beaven abandonnèrent mais Todd et Harrow poursuivirent malgré les difficultés croissantes et gagnèrent le sommet à 16 h. ½. Vue nulle par suite du temps bouché. L'ascension fut répétée le 1er juin par Lowe et Beaven mais la vue était également nulle. L'arête cornichée présente de réelles difficultés et de grand dangers.»2

29 septembre, Roissy-Charles de Gaulle: l'expédition 1996 de Terres d'Aventure au Baruntse, au grand complet, veille jalousement sur le matériel considérable qu'elle compte embarquer. Deux tonneaux en particulier sont l'objet de toutes les attentions: ils contiennent force charcutailles et alcools divers qui nous permettront de tenir 35 jour dans un milieu a priori dépourvu de tout confort.

30 septembre, Katmandou Tribuvan International Airport: tout est bien arrivé, en bon état, hommes et bagages, sauf les deux tonneaux susmentionnés. Il faudra faire sans.

1er octobre, hall de l'hôtel Shanker: parmi les ors et les stucs de cet ancien palais Rana, nous attendons sans trop y croire l'annonce d'un vol pour Lukla, en pays Sherpa. Car la chute du bloc soviétique a eu des répercussions inattendues sur les transports Népalais. Explication : l'arrivée sur le marché d'hélicoptères MI17, bradés avec leurs équipages, a favorisé l'expansion d'une multitude de compagnies privées, qui desservent maintenant les coins les plus reculés du pays. D'où une baisse d'activité des aéroports traditionnels, comme Lukla; personnels au sol et commerçants, mécontents de cette concurrence déloyale, on déclenché une grève sur le tas et bloquent tout trafic.

Finalement les sherpas, après moult hésitations (the Nepali decision: maybe... or maybe) trouvent une solution: partir de Paphlu plutôt que de Lukla. Nous regardons la carte, un peu inquiets: ce détour ne va-t-il pas rallonger la marche d'approche? Les sherpas nous rassurent: Paphlu, Lukla, same, same... et ajoutent: same, but different.

porteurs dans la brume

Paphlu, Ringmo, Tragsindo La... Le début de l'itinéraire, sur la route classique de l'Everest, est plutôt agréable malgré le temps couvert, à travers rizières et rodhodendrons. C'est à Kharikhola (2200 m.) que les choses se gâtent: une «queue de mousson», exceptionnelle en octobre, nous bloque une journée dans ce village. De toute façon il faut attendre les porteurs et la cuisine qui nous attendaient à Lukla (vous suivez?). Les porteurs arrivent mais la pluie ne cesse pas; un cortège de fantômes progresse en direction des crêtes du Zattara Danda, où un col à 4300 m. doit nous faire passer dans la vallée de l'Hinku. Encore une journée d'attente sous la pluie (tomorrow, good weather!) à 3300 m., dans une ambiance Viêt-Nam (hélicoptères et sangsues compris; heureusement ces petites bestioles ne semblent pas apprécier mon groupe sanguin), et toute l'expédition se retrouve au complet versant Hinku. I1 y a déjà beaucoup moins de monde: cette vallée n'a pas d'autre accès et ne sert que de pâturage à quelques yaks. Une descente à travers la «jungle» (forêt primaire de pins de l'Himalaya et de rodhodendrons, extraordinairement humide) nous conduit au fond de la vallée que nous remontons jusqu'aux alpages de Tangnak; les yaks s'y promènent parmi (voire dans) les tentes des quelques expéditions présentes. Au fait, les fameux tonneaux (vous suivez toujours?) nous ont rejoint comme par miracle.

Un nouveau col, le Mera La (5415 m. Schneider), nous conduit dans une nouvelle vallée, celle de l'Hunku, totalement inhabitée; nous sommes maintenant complètement isolés, au milieu d'un océan de cimes qui ont parfois une altitude (de 6500 à 7000 mètres) mais rarement un nom. Notre autonomie est totale; pour sortir d'ici il faut obligatoirement passer des cols très élevés (Mera La 5415, Mingbo La 5817, Amphu Labsta 5780, West Col 6135) avant de retrouver des zones habitées. Nous longeons l'impressionnant Chamlang (7290 m.); la monumentale face sud du Lhotse (8501 m.) et l'Everest3 se reflètent dans les eaux glacées des Panch Pokhari. Le Baruntse apparaît enfin, puis le Makalu (8475 m.) par-delà le col ouest du Barun; le 15 octobre, nous établissons notre camp de base près d'un lac glaciaire, au pied du col ouest. Il fait beau et froid.

Baruntse face ouest

Le plan d'attaque est très simple: camp I au col ouest du Barun, camp II à 6600 m. au pied de l'arête sud, à l'emplacement exact des camps Néo-Zélandais de 1954. Reste à le mettre en pratique; commence alors le chassé-croisé propre à toute expédition: montée, descente, repos, remontée, nuit en altitude, redescente, nouveau repos pour réparer les dégâts de la nuit en altitude... au bout de quelque jours, tout le monde est éparpillé sur la montagne, les vacations radio permettent de maintenir un semblant d'organisation. Du camp I la vue est superbe : à l'est vers l'impressionnant pilier sud-ouest du Makalu, au sud vers le Chamlang, à l'ouest vers le massif du Hongu dominé par l'Ama Dablam (le Cervin de l'Himalaya, comme je crois l'avoir déjà dit). Au nord, le Baruntse. La première perturbation d'hiver approche, accompagnée de vents violents qui, à défaut de déménager nos tentes, déplacent des quantités considérables de neige sur le plateau, creusant ici, déposant là des congères de poudreuse.

Summit day les 19 et 20 octobre pour la moitié de l'équipe, dans des conditions polaires; le 22, enfin acclimaté, je monte seul avec un sherpa au camp II, espérant une accalmie pour le lendemain (tomorrow, good weather). Le 23, au sortir de la tente, on ne voit plus la montagne! Pas le temps d'attendre une amélioration, il faut redescendre au plus vite, sans même récupérer les cordes fixes. Sous la neige qui commence à tomber, nous démontons le camp de base et renvoyons les porteurs par l'itinéraire de l'aller. Avec quelques sherpas, nous prenons la route du Mingbo La; ce col, au pied de la face sud de l'Ama Dablam, nous permet de rejoindre l'«autoroute» de l'Everest par la vallée de Mingbo et le village de Pangboche. C'est avec soulagement que nous prenons pied sur le glacier de Mingbo après un rappel de 200 mètres; nous redevenons de simples touristes, avant tout préoccupés de douches chaudes et de bières fraîches....


17129 m. au ministère du Tourisme, 7168 sur la carte Washburn: à vous de choisir... Cette dernière altitude semble la plus crédible.
2Marcel Kurz, Chronique Himalayenne. Fondation Suisse pour explorations alpines, Zürich 1959
38850 mètres au dernières nouvelles



La Montagne et Alpinisme : numéros en double à vendre