Aconcagua (6962 m.)

1994 & 1998

Voie normale

Décembre 1994: changement d'hémisphère. L'objectif est cette fois-ci le Cerro Aconcagua, point culminant des Amériques (7010 m. à l'office du tourisme, 6960 m. partout ailleurs1). L'Aconcagua est situé en territoire argentin, près de la frontière chilienne, en plein dans les Andes sèches. Quand je dis sèches... Ça n'a rien à voir avec ce que vous avez pu connaître dans les Alpes (même du sud); ici il n'y a que vent et cailloux. Beaucoup de cailloux. L'Aconcagua a d'ailleurs la réputation, guère usurpée, d'être la montagne la plus moche du monde. Il y a quand même une face Sud impressionnante (l'équivalent d'une face Nord chez nous, vous suivez?) et un versant glaciaire à l'est, assez joli pour racheter l'ensemble (le Glacier des Polonais, notre objectif).

Nous ne faisons que passer à Sainte-Marie des Bons Vents (Buenos Aires, quoi), juste le temps de découvrir qu'en Argentine la France est présente partout: des supermarchés Carrefour aux télécoms gérées par France Télécom, en passant par un parc automobile qui nous replonge dans les années 70, les 504 alternant avec les R12. Un survol de 1500 km de pampas et nous arrivons à Mendoza, oasis au pied des Andes sèches susnommées. Mendoza, sa viande (c'est l'enfer du végétarien), ses vins (fort honorables) aux étiquettes ambitieuses (que de châteaux dans ce pays!), ses avenues ombragées grâce à un savant système d'irrigation, son Parc San Martin, son énigmatique avenida de Boulogne sur Mer. Nous nous y arrêtons une journée, le temps de compléter le ravitaillement, puis nous rejoignons Los Penitentes (son vent, ses cailloux), une station de ski déserte au bord de la route Mendoza-Santiago. L'Aconcagua est hors de vue, mais des sommets neigeux de 5000 mètres reposent le regard des falaises ocre qui nous dominent.

Aconcagua face sud

La vallée qui mène au versant des «Polonais» est impraticable: trop d'eau! Va pour la voie normale, sur le versant ouest. A Puente del Inca, ses cailloux, son vent, nous découvrons un partenaire clé de toute ascension andine: la mule. Ces obligeantes bestioles emmèneront nos bagages à une allure record au camp de base, sous la conduite d'un arriero, habillé pour la circonstance en gaucho (en français, cow-boy). Les alpinistes (pardon, andinistes), eux, feront le trajet à pied: 35 km d'une vallée ventée et caillouteuse, coupée d'arroyos boueux que nous essayons de franchir à pied sec. La couleur de l'eau, d'un rouge éclatant, n'incite pas à la baignade, malgré un soleil de plomb.

Aconcagua face ouest

Etape touristique et obligée au pied de la face sud de l'Aconcagua: 3000 mètres de falaises sombres coupées de glaciers étincelants, une face pour mutants où des Français ont ouvert un itinéraire de grande classe en 1954. Puis nous rejoignons nos mulas au camp de base de la voie normale, à 4200 mètres d'altitude. Bien que nous soyons en décembre (le tout début de l'été, vous suivez toujours?), un véritable village de tentes s'est déjà formé autour de l'unique filet d'eau. L'endroit se nomme, comme il se doit, Plaza de Mulas.

refuges Berlin
refuge Independancia

Maintenant commence la lente acclimatation, sous la forme de portages éreintants le long d'éboulis interminables. Camp intermédiaire à 4900 m., camp avancé au Nido de Condores à 5400 m. Des mules (militaires) nous rejoignent puis redescendent se nourrir. Certaines continuent plus haut, témoin le squelette trouvé à 5800 m. Quant à nous, nous faisons le siège de la montagne en avalant des lyophilisés, qui n'ont qu'un lointain rapport avec les steaks de Mendoza. Le vent est totalement imprévisible, après une période de calme absolu, la tente est secouée par le passage de TGV en furie. Les lyophilisés et le gaz s'épuisent, il faut tenter l'assaut.

Nuit relativement confortable au «refuge» Berlin (en fait un abri en planches à 5900 m.) et montée lente, très lente, sur le quasi-sentier qui monte vers le sommet à travers les pierriers, sous les assauts de tous les vents du Pacifique. Coup de barre définitif vers 6300 m., au «refuge» Independencia (celui-ci a perdu son toit depuis longtemps); je laisse mes deux compagnons (le guide et le deuxième client) poursuivre vers le bien nommé Paso del Viento. Ils renonceront dans la redoutable Canaletta, un couloir d'éboulis sous l'arête sommitale. Echec donc, mais tempéré par la découverte d'un paysage minéral d'une beauté austère, et d'une contrée attachante où se mêlent les influences espagnole, italienne et indienne. La leçon est retenue: pour vaincre l'Aconcagua, il faut de la persévérance et du temps (donc des «lyoph» et du gaz, donc du poids, donc du temps...).


1N'accordez aucune confiance aux altitudes mentionnées sur cette page (d'ailleurs il y en a 3 différentes pour l'Aconcagua). Les altimètres barométriques, guère fiables en temps ordinaire, délirent totalement sur cette montagne; sortez vos GPS!


Voie des Polonais

Vous vous souvenez qu'en 1994 j'avais tenté de hisser ma modeste personne sur le toit des Amériques, et qu'une mauvaise acclimatation m'avait empêché de gravir ces 6969 mètres de cailloux. Pour clore ce chapitre, une deuxième visite à la Sentinelle de Pierre2 s'imposait donc, et pour bien faire par le côté où elle ressemble à une montagne: la face est et son glacier nord-est, dit des Polonais (car c'est par là qu'en 1934 messieurs Narkiewicz, Orstrowski, Daszinski et Osiecki parvinrent au sommet).

C'est pourquoi en janvier 1998, grâce à Atalante, je foule à nouveau le sol argentin. Vous avez déjà lu les précédents numéros d'Identit'Echos, vous savez donc tout de l'Argentine, ses Andes, sa pampa, sa viande, son vin, ses Argentines... Mais je m'égare ; revenons à notre itinéraire, pour l'heure à Mendoza, oasis vinicole au pied du massif de l'Aconcagua. La mémoire du général José de San Martin, libérateur le la Patrie, est omniprésente dans cette cité: place San Martin, avenue du même, parc idem. L'explication d'une énigme: l'avenida de Boulogne sur Mer est ainsi nommée car c'est dans ce port français qu'El Libertador est venu mourir en 1850, après s'être brouillé avec Simon Bolivar.

Quebrada de los Relinchos

Après les ravitaillements indispensables, nous quittons les avenues ombragées de Mendoza pour Los Penitentes, près de la frontière chilienne (la même station qu'en 1994, avec le même vent). Les hôteliers s'évertuent à faire sortir des cailloux un bosquet de sapins sans lequel l'endroit ne serait pas vraiment une station de ski (alpin... ou andin?) Une mise en jambes sur un sommet voisin, aux alentours de 4000 mètres, nous permet de faire connaissance avec la trilogie andine: le vent, le soleil, les cailloux. Après avoir négocié le concours de quelques mules auprès de leur arriero, nous remontons la vallée est de l'Aconcagua, dite du Rio de Las Vacas. Pas la moindre vache dans cette vallée, il est vrai verdoyante en comparaison du reste du massif: une herbe rêche s'obstine parmi les éboulis jusqu'à 3500 mètres; la seule bête rencontrée, en dehors des mules, sera un guanaco à l'état de cadavre (une manière de vigogne, à moins que ce ne soit un alpaga ou un lama, enfin une chèvre au long cou quoi...) On raconte qu'un de ses congénères a été retrouvé vers 6800 mètres sur l'arête sommitale de l'Aconcagua, nommée pour cette raison filo del guanaco.

Aconcagua face est

Point d'Aconcagua pour l'instant, mais une suite de vallons et de défilés, de plus en plus arides: Pampa Leña, Casa de Piedra (pas de Casa en vue, mais ce ne sont pas les piedras qui manquent...) et un torrent qu'il faut traverser plusieurs fois, à dos de mule moyennant finances, ou à pied pour les plus courageux ou les moins fortunés (l'eau est à quelques degrés...). Enfin l'Aconcagua apparaît, présentant son profil le plus avantageux, sa vertigineuse face Sud, et le glacier des Polonais... plutôt raide vu d'ici (en fait 45-50°). Les mules nous accompagnentjusqu'à la Plaza Argentina, le camp de base du versant est, une moraine constellée de tentes multicolores. Comme nous envisageons de redescendre par le versant ouest, nous devrons renvoyer tout le superflu à dos de mules et transporter tous de reste à dos d'homme. Ces portages herculéens parmi les éboulis et les pénitents de glace ont au moins le mérite d'assurer une acclimatation parfaite.

Glacier des Polonais

Une fois le camp II établi au pied du glacier, l'ascension est une course de la journée, dans une ambiance exceptionnelle. Lever à minuit, bagarre habituelle avec les réchauds à essence pour absorber force boissons, lutte désordonnée avec les chaussons, chaussures, surbottes et crampons... Dans la nuit glaciale (mais ô miracle! sans vent), quelques fantômes malhabiles progressent en zigzag sur le glacier, en évitant les zones les plus raides ou les plus crevassées. La pente se redresse, le vide se creuse et le souffle se fait plus court. Les doigts sont gourds, et du petit matériel rejoint plus vite que prévu le bas du glacier (pour ma part, je n'ai rien perdu au cours de cette expédition, même pas un bouchon d'objectif... une première!)

Aconcagua face sud

Un soleil de premier matin du monde nous atteint sur l'arête sommitale. Nous dominons alors l'imposante face Sud, des tours de grès rose entrecoupées de glaciers suspendus, d'une raideur inimaginable. C'est là que les Français ont ouvert en 1954 un itinéraire de grande classe, encore peu parcouru aujourd'hui. Nous cheminons lentement en direction du sommet, sur une arête débonnaire digne d'une aquarelle de Samivel. Après maintes haltes, le souffle coupé, nous arrivons sur le sommet, constitué... d'un éboulis horizontal (mais d'où viennent ces pierres?). Une croix en aluminium gémit dans le vent; une centaine de personnes, montées par la voie normale, admirent le paysage et se font photographier... Une centaine au sommet, car ils sont des milliers à essayer la voie dite normale, que nous allons emprunter à la descente: l'horreur absolue! Un couloir d'éboulis de toutes tailles, où tout roule et rien ne tient. Lorsque l'on monte de deux pas on recule d'un. A 6700 mètres monter par là relève du masochisme le plus pervers (essayez si ça vous tente, je vous aurai prévenu).

Retour au camp II, boissons , lyophilisés, repos... Le lendemain nous plions bagages et passons en versant ouest: l'autoroute de la voie normale, un gigantesque pierrier descendu à une allure record avec des sacs de 25 à 30 kilos. Nous retrouvons tout le confort au camp de base, une vraie ville avec ses restaurants, ses douches, son antenne médicale. Les mules se chargent obligeamment de nos bagages, puis après un dernier regard à l'Aconcagua (nettement moins décoratif de ce côté) nous plongeons vers la civilisation (Mendoza, ses steaks, ses vins, etc.)

Sommet de l'Aconcagua
portrait en pied de l'auteur, garanti conforme à l'original, au sommet de l'Aconcagua


2Acon Cahuac pour les Incas



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